« Le temps de la Siba, le temps où les caïds
étalaient le burnous sur la jellaba et faisaient parler le baroud. »
Fellah marocain
Vers 1840, un seul grand caïd, El Haj Abdellah Ou
Bihi commandait une grande partie de la confédération des Haha, et dominait la
plaine du Sous au nom du Makhzen, grâce à l’influence dont il jouissait auprès
de Moulay Abderrahmane, a une grande énergie et surtout a une justice
intransigeante.Il fit construire la Kasbah d’Azaghar avec ses deux tours rondes
et son magasin voûté. Il avait le contrôle de tout le commerce transsaharien qui
transitait par le pays Haha. C’était un seigneur tout puissant. Même les Zaouias
lui versaient la dîme. En plus, il levait des Toufrît (impôt extraordinaire) de
30 à 40 ouqiya par feu. Il installait partout des Chioukhs et des Oumana. Son
commandemant unifia les tribus pendant 20 ans. Mais à sa mort survenue à
Marrakech, discordes et déchirements se réveillèrent. Des vers du reis Belaïd,
qui vivait aux Ida Ou Bâkil, près de Tiznit, rappellent sa domination sur les
Haha et le Sous :Les Haha ont fait du mal aux Soussis
Ils s’en sont fait entre eux aussi
Aghennaj est mort et passé.
On nous a compté sa puissance
On n’habite jamais les châteaux qu’il a démolis
Et Moulay Idriss où es – t – il ? On l’a remplacé,
lui aussi.
El Haj Abdellah Ou Bihi, on nous a dit
Que nul ne fut semblable à lui
Puis est venu Guellouli
Il commanda jusqu’à Oussa, en s’en allant, il
emporta
Esclaves, chevaux et chameaux, les chioukhs qu’ils
nous ont imposé
Ont mangé ce qu’il a laissé, personne n’y a
échappé...Vers 1814, Aghnnaj, caïd des Haha, rayonnait au nom du Makhzen dans le
Sous et tenait la Maison d’Illigh sous la menace de son expédition. Le caïd
Aghnnaj, était khalifa du Sous pour Moulay Sliman entre 1802 et 1816. Voici
encore deux vers qui le concernent :
Aghennaj, nous a tordu la laine et la peau
Aghnnaj en ce temps là, mangeait les Chtouka
Plus tard, on voit, dans le Sous une autre famille
de gouverneurs Haha, originaire des Aït Zelten. Le plus connu, El Haj Abdellah
Ou Bihi, et son khalifa Moulay Idriss, sont nommés dans la chanson :
El haj Abdellah Ou Bihi, on nous a dit
Que nul ne fut semblable à lui.
Et Moulay Idriss, où est-il ? On l’a remplacé, lui
aussi.
Abdellah Ou Bihi, fils de négresse, eut l’autorité
sur les douze tribus Haha et sur tout le Sous, jusqu’à l’oued Oulghas. Au sud du
fleuve, c’était à Illigh, le royaume de Sidi Lhoucin Ou Hachem, le contemporain
et l’ami d’Abdellah Ou Bihi. Les relations du caïd Haha avec le chérif de
Tazerwalt étaient à la fois politiques et commerciales. Mogador était le port de
Sous, Illigh l’entrepôt du Soudan. Les trois moussems annuels de Sidi Ahmad Ou
Moussa, étaient très fréquentés par les caravanes des Haha. Elles apportaient à
Illigh des produits d’Europe avec du blé, des chevaux. Elles remportaient
l’ambre, l’encens, des étoffes du Soudan, des plumes d’autruche, des esclaves.
Tous ces produits du Soudan arrivaient à Illigh, par Tindouf et Tizounin.Un
échange entre deux poétesses du pays Hahî atteste que ce grand caïd était un
noir. Elles se sont rencontrées au moussem des femmes au maqâm d’El Jazouli, qui
a lieu le 21 mars julien. Il s’agit de Rqiya N’barek, des Aït Zelten qui fait
l’éloge du caïd en tant que noir et d’Aïcha N’taleb des Neknafa qui en fait la
satire :
Rqiya M’barek a dit :
Femme blanche, tu as donné naissance à la laideur et
tu l’as porté
Femme noire, tu as donné naissance au seigneur de
tous les Haha
Sidi El Haj Abdellah Ou Bihit ô mes frères:Il est
l’homme le plus courageux de tous les Haha
Ce à quoi Aïcha N’taleb a répondu :On n’a jamais vu
chez les noirs de taleb, de sidi, ou de Moulay El Haj
Ils ne sont connus que des noms de Boujamaâ, Salem
et Barka
Abella, prends ta tunique d’esclave et rentre dans
la paille !
Prends ton tambour et reviens à tes origines !
On rapporta cet échange à El Haj Abdellah, qui
convoqua aussitôt Aïcha N’taleb. Celle-ci le trouvant au seuil de sa demeure,
lui demande :
- Isamguinou (mon noiraud), le caïd est-il là ?
- Où vas-tu ? Qui t’a envoyé ma vieille ?
L’interroge-t-il à son tour.
- C’est ma mauvaise langue qui m’a condamné à venir
jusqu’ici.
- Qu’est ce qu’elle t’a fait ?
- On s’est rencontrées au moussem des femmes moi et
Rqiya M’barek, la poétesse des Aït Zelten. Elle faisait l’éloge des noirs, et
moi leur satire Elle mit son mari dans la confidence, qui rapporta tout au caïd
d’Azaghar qui m’a convoqué.Elle ne savait pas qu’elle s’adressait au caïd en
personne. Celui-ci s’est mis alors à rire sous cape, surtout quand elle l’a
affublé du sobriquet d’« Isamguinou » (mon noiraud). Il était en effet métis, de
mère noire et de père blanc, Oumoulid qu’il s’appelait, proclamé caïd lui aussi
un vendredi, au moussem du miel de thym à Sidi Abdenaïm d’ Aït Daoud.La légende
du caïd Haj Abdellah Ou Bihi a débordé le 19ème siècle, où il a vécu. Tout ce
pays des Haha et du Sous où il faisait régner une paix qu’on savait apprécier,
malgré la dureté de sa poigne. Voici ce que m’en disait Mohammad mon oncle
maternel un lundi des années 1970 au retour du souk hebdomadaire d’Imin Tlit» :
Caïd El Haj Abdellah Ou Bihi était un devin qui métamorphosait des sacs de blé,
en louis or. Il était tellement craint qu’il vint rapidement à bout des voleurs
et autres pillards, de sorte qu’on pouvait laisser sa vache ou sa brebis au
milieu des chemins, sans que personne n’ose y toucher. En ce temps là, deux
hommes passant en un lieu désert, dans la forêt d’arganiers, rencontrèrent deux
bœufs paissant en liberté et en toute sécurité. L’un de ces hommes leur fit la
révérence en disant : Que Dieu donne longue vie à El Haj Abdellah. Sa domination
ayant débordé le pays Hahî au Sous extrême, il fut convoqué par le sultan au
palais où on lui tendit un breuvage empoisonné, don’t il mourut lentement à
Marrakech. »
Deux ans après la défaite retentissante de la
bataille d’Isly et des bombardements de Tanger et de Mogador, ce grand caïd
aurait obtenu du sultan Moulay Abderrahman, l’autorisation d’effectuer le
pèlerinage à la Mecque« Le 25 chaâbane 1271 de l’hégire (1846), El Haj Abdellah
Ou Bihi embarqua dans un babbor (vaisseau) qui lui était propre. Il y
transporta, à ses propres frais, toute une compagnie de gens d’Essaouira et de
Haha. Après le pèlerinage, il effectua une tournée au Hidjaz, y achetant des
propriétés, don’t il fit couler les eaux, avant de les léguer toutes en main
morte aux deux Lieux Saints. Dépensant des sommes considérables, il fit aumône
aux pauvres et aux handicapés. Après une absence de près de trois années, il
accosta à Essaouira, le lundi 14 rajeb1274/1849, avec sa nombreuse suite,. Le
pèlerinage à la Mecque ayant agrandi son prestige et sa réputation. » :Il mourut
vers 1868, empoisonné dit-on, par le Makhzen inquiet de sa puissance Voici
maintenant dans quelles circonstances, d’après la version recueillie par
Justinard vers 1930« Le chérif Sidi Lhaoussin Ou Hachem s’en vint un jour, à la
tête de tout son lef des Guezoula, faire « tarzift » à son ami haj Abdellah Ou
Bihi, sans doute quand celui-ci revint du pèlerinage. A partir de oued Oulghas,
on trouve partout la mouna préparée par les soins d’Ould Bhi. On s’arrêta chez
les Guellouli à l’assif Ighezoulen, puis dans l’azaghar n’Aït Zelten. El Haj
Abdellah Ou Bih vint recevoir Sidi Lhaoussin et l’emmena chez lui. Après
quelques jours de réjouissances, il lui dit :
- Je ne suis qu’un esclave, dans la main du sultan.
Que pourrais-je faire s’il arrivait ici mille cavaliers du sultan, m’ordonnant
de t’envoyer à Marrakech ? Mieux vaut que tu partes sans plus tarder.Sidi
Lhaoussin Ou Hachem s’en fut d’abord à Mogador, où il reçut la hdia de tous :
Musulmans, Chrétiens, et Juifs. Puis, il reprit le chemin de Sous. Beaucoup de
ses gens avaient fait des achats à Mogador sans les payer. La note arriva à
Tazerwalt au moussem suivant, et le chérif paya tout.El Haj Abdellah Ou Bihi
écrit une lettre compromettante à Sidi Lhaoussin, lui demandant aide éventuelle
contre le Makhzen. Le reqqas aurait perdu cette lettre en passant chez les
Chtouka. Un juif aurait trouvé cette lettre et l’aurait portée à un ami des
Mtougga, qui aurait été heureux de perdre le chef des Haha et aurait envoyé la
lettre au sultan. Sidi Mohamed fit venir à Marrakech le caïd Abdellah Ou Bihi
:
- Es-tu un Roi pour recevoir telles visites ?
Choisis. Entre le siaf qui va te couper la tête ou ce verre de thé qui va te
faire mourir.Le caïd s’en alla après avoir bu le thé et mourut en rentrant dans
sa maison du quartier de Mouassin, à Marrakech. A sa mort Abdellah Ou Bihi fut
enterré (vers 1870-71) au hurm de Sidi Abdeaziz Tabaâ, l’un des sept saints de
Marrakech. Plusieurs caïds se disputèrent alors les diverses fractions des Haha
et en dernier lieu le caïd Hadj Saïd el-Guellouli qui les réunit en les jetant
contre le Sous, don’t il fit la soumission, quand il mourut lui-même.
Le manuscrit de Timsouriîne
Et voici la version que donne de ces évènements le
manuscrit que nous venons de découvrir en ce mois d’août 2008,lors de notre
récente dérive chez les Neknafa. Il est gauchement écrit par le dernier des
Anflous, qui vit toujours au milieu des ruines de ses ancêtres à Timsouriîne
:
« Notre histoire se déroula au pays Hahî connu pour
ses hautes montagnes, ses puits, ses sources intarissables, ses cours d’eau et
ses nombreux arbres.Son territoire est sanctifié par le maqâm (mansion) d’El
Jazouli ainsi que par d’autres zaouia telle celle de Sidi Saïd Ou Abdenaïm qui
se trouve à Aït Daoud. Dans les temps anciens, un homme de pouvoir gouvernait ce
pays. Il s’agit du caïd El Haj Abdellah Ou Bihi Ou Moulid d’Azaghar, qui reçut
ses pouvoirs de Sidi Mohamed ben Abderrahman (1859-1873). Il lui a délégué tous
les pouvoirs sur les douze tribus Haha, don’t celle des Naknafa, connus par
leurs Oulémas (docteurs de la lois) et leurs fuqahas (docteurs de la foi). Mais
aussi par le courage et la bravoure de leurs guerriers, héros de ces temps, qui
n’admettaient ni affront à leur honneur, ni humiliation.Le caïd El Haj Abdellah
Ou Bihi avait comme cheikh (auxiliaire, adjoint), un homme sage et expérimenté,
le dénommé cheikh Mohamed Anflous, un originaire de la tribu des Aït Oussa au
Sahara. »Selon l’auteur du manuscrit les Anflous seraient originaire du Sahara
et plus précisément de Zag :
- La plupart des hameaux de Timsouriîne où se trouve
Dar Anflous chez les Neknafa sont originaires du Sahara : Aït Oussa, Assa-Zag,
Aguelmim. Ils sont venus s’établir en pays Hahî au 19ème siècle, du temps de
Moulay Abderrahman, de Mohamed Ben Abderrahman et de Hassan 1er .L’ancêtre des
Anflous était pasteur nomade venu jadis avec ses troupeaux de camelins et de
caprins à la recherche de pâturages à Timsouriîne.Tous les hameaux que vous
voyez ici sont originaires soit du Sous soit du Sahara. Ils s’étaient établis
avec leurs troupeaux dans ces arganeraies en période de sécheresse.
Poursuivons la lecture de notre manuscrit :
« Si M’barek et son frère Ahmed Anflous étaient des
subordonnés du grand caïd El Haj Abdellah Ou Bihi : M’barek faisait office de
secrétaire particulier et Ahmed de garde .Par ordre du sultan Mohamed Ben
Abderrahman, le caïd gouvernait tout ce pays avec justice et équité. Il a mi fin
aux causes du mal et aux fauteurs de troubles. Un jour, Ahmed Anflous
démissionna de sa fonction de garde. Craignant qu’il n’attise la sédition au
sein de sa tribu, le caïd lui envoya une « bague d’aman » (gage de vie sauve)
par l’entremise de son propre frère. Celui-ci en avertit aussitôt leur mère qui
eut peur pour ses fils, mais consentit néomoins à ce qu’ils se rendent à Azaghar
auprès du caïd. Les esclaves et la garde noire avertirent ce dernier de
l’arrivée du cheikh Ahmed Anflous. Et le caïd de se lever pour l’accueillir, le
plaçant à ses côtés, avec tous les égards et l’hospitalité d’usage. Mais une
fois mis en confiance, il le désarma illico presto et lui assenât un coup de
poignard mortel.
« El Haj Abdellah Ou Bihi continua encore pour
longtemps à gouverner les tribus Haha jusqu’à en extirper les causes du mal et
les fauteurs de troubles de son temps. Il mourut à son tour en l’an 1293 de
l’hégire, et son fils Mohamed lui succéda comme caïd des Haha.Il prit à son tour
pour secrétaire particulier, M’barek Anflous. Ce dernier, pour se venger de
l’assassinat de son frère Ahmed, ne tarda pas à discréditer le nouveau caïd
auprès des tribus Haha, en lui conseillant de les mater les unes après les
autres, sous prétexte d’insubordination, suscitant l’opprobre de tous, en
particulier celui des Neknafa. Il l’affubla en plus du sobriquet d’ Amaâdour (le
loufoque en berbère). Ne se doutant pas des manipulations don’t il faisait
l’objet Amaâdour finit par céder tous ses pouvoirs à M’barek Anflous proclamé
caïd des Haha en l’an 1295 de l’hégire. »Le nom d’Anflous, est donc celui d’une
famille des Neknafa qui, après avoir contribué à la chute de la famille Abdellah
Ou Bihi des Aït Zelten, conquit à sa place, non sans lutte et grâce à l’appui
des Mtougga, la prédominance chez les Haha au temps du sultan Moulay Lhassan.
Foucauld dit :
« Anflous, serviteur d’Ould Bihi usurpa le pouvoir
après que ce dernier eût été empoisonné par le sultan. »
Le manuscrit de Timsouriîne relate la suite des
évènements en ces termes :
« Après avoir destituer Amaâdour, M’barek Anflous se
met à soumettre les tribus qui se refusèrent à son pouvoir jusqu’à ce qu’il se
heurta chez les Ida Ou Isarne en bord de mer,à la forte résistance d’El Haj Ali
L’Qadi, qui aspirait lui aussi à devenir caïd des Haha. Les feux de la discorde
s’allumèrent entre les deux prétendants, et leur guerre se poursuivit sans
relâche avec son lot de destructions et de malheurs, au point que les tribus se
plaignirent au sultan des massacres don’t étaient victimes des musulmans
innocents. Ayant appris la destruction de la citadelle d’El Haj Abdellah Ou Bihi
à Azaghar, Hassan 1erenvoya son émissaire à M’barek Anflous lui demandant de se
rendre à la cour. Mais ce dernier craignant pour sa vie refusa d’obtempérer aux
injonctions royales. »
Les Mtougga ne laissèrent pas passer l’occasion de
prendre leur revanche des luttes antérieures et de deux pillages de la kasbah du
caïd des Mtougga à Bouaboud. Ils mirent la division chez les Haha, s’appuyèrent
sur Anflous, tombèrent sur Ould Bihi et pillèrent sa maison. Une mehella makhzen
se rendit alors sur place pour faire rendre gorge aux Haha et aux Mtougga,
auteur du pillage. A la colère du sultan reprochant au Mtouggui d’avoir piller
la maison du Makhzen, le caïd Abdel Malek des Mtougga aurait répondu :
- Et la mienne, étais-ce celle du forgeron ? «
Outinou, tin oumzîl ? »
Le chef de l’expédition punitive n’était autre que
le jeune Moulay Hassan, fils du sultan Sidi Mohamed. Il campa à Bouriki, où un
karkour marque l’emplacement de sa mehella, quand il apprit la nouvelle de la
mort de son père et reçut la bay’â qui l’élevait au trône chérifien (1873). Il
rentra de suite à Marrakech.
Le manuscrit de Timsouriîne nous dit à ce propos
:
« Lors de son expédition au sud du Maroc et dans le
Sous, qui eut lieu en 1299 de l’hégire (1874-75), le sultan est venu inspecter
en personne le pays Hahî. Il s’est arrêté au lieudit Bouriki où il édifia un
rempart. De là, il s’est rendu au maqâm de Sidi M’hand Ou Sliman El Jazouli, où
l’accueillirent le caïd M’barek Anflous et son neveu. Se présenta également
devant le sultan leur adversaire El Haj Ali L’Qadi. Tout ce beau monde fut
conduit à Marrakech où Hassan 1er déchargea M’barek Anflous de sa fonction de
caïd pour la confier à Addi Ben Ali M’barek. Mais ce dernier s’avéra incapable
de mettre fin au désordre et de gouverner les douze tribus Haha. Après leur
reddition, M’barek Anflous, son neveux et El Haj Ali L’Qadi furent jeté en
prison, et leurs descendants condamnés à verser annuellement un kharaj
(redevance annuelle) en compensation des pillages auxquels il s’étaient livrés
contre la citadelle d’ Azaghar. » Sibâ’î note ainsi dans son Boustân : les Haha,
ayant assiéger leur gouverneur, le pouvoir « doit réparer ce qu’ils ont
disloqué, rassembler ce qu’ils ont divisé, recoudre ce qu’ils ont déchiré ».
Dans tous les cas, l’objectif affiché est de ramener
les populations au respect du système, et, si elle persévère dans le refus, de
les écraser pour la saine doctrine et la commune édification, nous dit Jacques
Berque, analysant ces tournées qu’effectuait Hassan 1er à travers le pays :
« Se porter dans le Sous extrême pour y rétablir
l’infrastructure du pouvoir central, c’est décourager l’insoumission tribale par
un système répressif, lequel comporte pédagogiquement dirait-on plusieurs
degrés. Le pur et simple passage de la meh’alla, qui exige son « ravitaillement
», mûna, éponge les ressources du groupe récalcitrant. Si ce dernier résiste,
s’il a mis à mal le gouverneur makhzénien, comme c’est souvent le cas, il perdra
quelques têtes et acquittera une contribution. En cas de récidive, ou
d’insolence marquée, on détruira ses campements, on mangera ses troupeaux, on
pillera ses silos, on lui fera des prisonniers qui partiront enchaînés vers
l’une ou l’autre des geôles de l’Empire. »
À la mort de Hassan 1er le pays connaîtra partout
éclatement et dispersion :
« Rébellion au nord avec le rogui Bouhmara, au
nord-ouest avec Raïssouli, le « brigand », pénétration française par Oujda et
les Beni Snassen d’une part, Casablanca et la Chaouia d’autre part,
grossissement des grands caïds, et pour finir invasion du pays par le sud, avec
les « Hommes Bleus » de Ma’el-Aynin puis d’El Hiba. Corrélativement, la réserve
hiératique de Moulay Hassan aura fait place aux psychologies cruellement
anecdotiques de Moulay Abdel Aziz et de Moulay Hafid, juste avant que la
monarchie, dés lors assujettie à l’étranger, ne sombre, pour plusieurs
décennies, dans l’impotence ».Chez les Haha, la nouvelle de la mort de Hassan
1er en 1894, plongea à nouveau le pays dans le désordre et la siba d’après la
relation du manuscrit de Timsouriîne : La confiance entre gouvernants et
gouvernés en fut profondément ébranlée. Les Neknafa se divisèrent sur le
postulant au pouvoir.Chaque fraction choisit son propre chef et veut étendre sa
domination sur les autres. Il s’en suivit désordre et siba. Les Neknafa
s’opposèrent aux Mtougga, aux Chiadma et aux Ida Guilloul. Le caïd des Mtougga
tua d’une balle d’argent le caïd M’barek Anflous qui avait pourtant la
réputation d’être immunisé contre l’impact des balles. Lui succède alors Ahmed
Anflous qui doit faire face au caïd Abdel-Malek des Mtougga au nord, au caïd
Khobbane à l’Est, et au caïd Guellouli au sud.Aidés du caïd Guellouli, les
Mtougga s’attaquèrent aux Neknafa, au lieu dit tamjjout Chez les Aït Zelten.
Parmi les victimes de cette embuscade, Si Mohamed M’barek Anflous qui succomba à
ses blessures. Les hommes sont venus de toutes part à Timsouriîne pour présenter
leurs condoléances au caïd Ahmed Anflous pour la mort de son frère.A la mort de
Hassan 1er, son ministre, le célèbre Ba Hmad avait envoyé Mohamed Anflous comme
représentant du Makhzen à Melilla. Puis à la demande des siens, Moulay Abdel
Aziz le nomma par Dahir comme caïd sur quatre tribus Haha : Neknafa, Ida Ou
Gord, Ida Ou Bouzia, et Aït Aïssi. Ceci est arrivé en l’an 1318 de l’hégire. Il
se rendit chez les Neknafa accompagné d’un détachement armé que lui avait
accordé le jeune sultan. En 1904, il reçut à Timsouriîne le cheikh Ma’el-Aynine
et l’accompagna dans ses expéditions guerrière dans le Sous..»El Hiba et son
père le Cheikh Ma el-Aïnine fréquentaient Essaouira au tout début du 20ème
siècle et formaient avec le caïd Anflous, le parti de l’indépendance face à la
France. Mon père me disait que la maison à la tourelle conique qui surplombe les
remparts du côté de la mer et qu’on remarque nettement depuis le port,
appartenait à El Hiba et à son père le Cheikh Ma el-Aïnine . Et je viens de
découvrir, grâce au sculpteur Alam que les Ma el-Aïnine disposaient également
d’un très beau Riad au quartier des Bouakher. Chaque année, au mois d’août,
leurs descendants y séjournent encore aujourd’hui, lors du moussem de Tidrarine
qui à lieu à Tafetacht à soixante dix kilomètres d’Essaouira sur la route de
Marrakech.C’est du port de Mogador que Ma el-Aynine s’est embarqué, le 17
novembre 1906 pour Cap Juby, avec une partie de sa suite, un chargement de
madriers de thuya destiné à la toiture de sa mosquée de Smara, ainsi que ses
bagages entiers, ses meilleurs mulets, chevaux, chameaux etc. Une véritable arch
de Noé ! Un paquebot espagnol a amené les hommes bleus, au Cap Juby, où il les a
débarqué. Ils ont regagné par mer Terfaya, puis delà à dos de chameau, la ville
de Smara. Le fils de Ma el-Aynine est resté à Mogador avec 50 hommes, soulignent
les renseignements coloniaux de 1906. Il attend le complément d’une somme de 85
000 francs que son père devait recevoir à Marrakech. On assure que le
sorcier-marabout veut construire un fort à Smara pour se protéger contre une
incursion possible des troupes sahariennes françaises... »En 1906, les
renseignements coloniaux rapportent que « les nègres de la suite de Ma el-Aïnin,
ont molesté un certain nombre de boutiquiers marocains avant de quitter Mogador.
Le passage du grand marabout saharien a ruiné Mogador, qui s’était astreinte,
suivant les instructions formelles du sultan, à dépenser chaque jour 1500
pesetas pour subvenir à l’entretien des « hommes bleus ». Il est de plus en plus
admis que les voyages annuels de Ma-el-Aïnine aux provinces du Nord ont un
caractère purement commercial, auquel les tendances religieuses ne s’adjoignent
que comme accessoire. Le vrai motif de ces déplacements réside dans un rôle de
pourvoyeur de negresses à la cour du sultan et chez les grands du Makhzen. En
fait Ma el-Aïnine remonte toutes les maisons des gros notables marocains, sans
oublier la maison de Moulay Abd el-Aziz. » Les troubles qu’avait connus la
région commencèrent en 1904. Le caïd el-Guellouli et Abdelmalek el – Mtougui,
s’allièrent contre Ahmed Anflous, mais ils furent battus ; le premier fut obligé
de demander la paix pour sauver une centaine de cavaliers de sa tribu cernés
dans la maison d’Azaghar, ancienne demeurre du caïd Hadj Abdellah Ou Bihi à Aït
Zelten. Le second fut presque bloqué chez lui et les Haha ayant refusé
d’assiéger la maison d’un caïd du Sultan de crainte de représailles, la paix fut
conclue, paix qui confirmait à Ahmed Anflous la possession des Ida Ou Isarne et
des Ida Ou Gord et par conséquent enclavait Mogador dans son territoire.Ces
faits se passaient en 1906. Le caïd Mohamed Anflous des Neknafa et protégé de
Menebhi fut désigner pour remplacer dans le commandement du Sous, le caïd
Guellouli tombé en disgrâce, mais il ne jouit pas longtemps de cette faveur,
surpris par une mort subite. Son frère Ahmed Anflous et caïd des Neknafa fut
chargé de recueillir sa fortune pour la verser, selon la coutume, au trésor
chérifien : mais loin d’exécuter ces ordres, il trouva qu’elle serait aussi bien
entre ses mains, commença à fortifier sa maison de Timsouriine et fit
l’acquisition de quantité de fusils Gras, qui lui furent fournis, dit-on, par un
Européen de Mogador et qui le rendaient terrible pour ses voisins.Quelques temps
après, le caïd Ahmed Anflous, ayant su que les oumanas de Mogador avaient à
livrer, par ordre chérifien, au caïd Abdel Malek el-Mtougui des armes et des
munitions, vint à Mogador même, en pleine douane et força les oumana à lui
remettre lesdits armes et cartouches. Deux mois après, les oumanas reçurent
l’ordre de faire une nouvelle livraison à Abdel Malek ; ils devaient cette fois,
opérer aussi secrètement que possible. Cette recommandation n’était pas inutile,
car Anflous, en ayant eu vent, fit attaquer le convoi aux portes – même de la
ville et l’enleva. Ce convoi était de 16 chameaux chargés de cartouches.
La veille du protectorat
A la veille du protectorat, Ahmed Anflous aurait en
effet investi la ville en exigeant manu militari à ce que tous les juifs
réintègrent le Mellah. Ces exactions n’étaient pas étrangères au soulagement de
la communauté juive de Mogador, lors de la prise de la ville par l’armée
française.IL faut dire qu’Ahmed Anflous en voulait aux négociants juifs de la
ville, don’t les entrepôts regorgeaient de marchandises, quand la compagne
environnante souffrait de famine et de spéculations usuraires.Mon père me disait
que les juifs du Maroc n’ont jamais accepté au fond leur statut de minorité
dominée politiquement par la majorité musulmane : cela explique pourquoi en
1912, lorsque les Français ont débarqué à Essaouira avec le navire Du Chayla, et
que les soldats se sont rendu au nord de la ville, où ils ont fermé le fuseau à
Bab – Doukkala, l’un des juifs qui sortaient du mellah pour observer la prise de
la ville demanda surpris à un congénère :
- Que se passe-t-il ?
Et l’autre de lui répondre :
- Ce que le bon Dieu fasse durer pour nous !
Il émettait ainsi le vœu que la domination française
se perpétue au Maroc. D’ailleurs, bien avant l’arrivée des Français, de pauvres
juifs du mellah étaient protégés français tandis que de riches négociants de la
Kasbah étaient protégés anglais. Ils jouaient de leur statut d’intermédiaires
entre le Makhzen et les puissances étrangères.Pour affirmer sa domination sur
les Ida Ou Gord et les Ida Ou Isarn, Ahmed Anflous multiplie les nzala et fit
payer des droits exorbitants : 5 pesetas par chameau de passage. Il en établi
une aux portes même de la ville, sur la route de Safi, malgré les protestations
du caïd de Mogador, comme le soulignaient les renseignements coloniaux de 1906
:
« Mogador est complètement dégarnie des ses troupes.
Un des deux tabors a été embarqué pour Casablanca, à la suite de troubles
fomentés, par un chérif qui cherche à jouer le rôle d’un nouveau prétendant.
L’autre Tabor a été renvoyé à Tanger. Dés maintenant, les conséquences de ces
différents départs se font sentir. Les nzala d’Anflous paralysent tout commerce
en exigeant des caravanes une série de contributions arbitraires. L’insécurité
des routes recommence de plus belle, et on ne peut même pas circuler aux
environs de la ville, à ses risques et périls, sans avoir obtenu l’assentiment
des gens du caïd. »Ces faits ayant provoqué des plaintes de la part des oumanas,
du caïd de Mogador et du caïd el-Guellouli, le Makhzen, sous la pression du caïd
Abde el-Malek el-Mtougui, ordonna à tous les caïds de la région : Haha, Mtougga,
Chiadma, Oulad Be-Sbaâ, Hmar, de marcher contre Ahmed Anflous. Après un premier
combat où fut tué son frère, le caïd Ahmed Anflous se retira dans la partie
montagneuse de son territoire et là, il fut cerné.Le caïd Ahmed Anflous
disposait, outre ses Neknafa, de contingents venus des Aït Zelten, Ida Ou Bouzia
et Ida Ou Tanane, c’est-à-dire des montagnards, qui penchaient par sentiment
pour Ahmed Anflous qui représentait l’indépendance. Durant un mois les caïds
réunis le cernaient, sans oser l’attaquer, dans ces montagnes inexpugnables avec
les troupes don’t il disposait. Ahmed Anflous n’avait pas cessé de harceler ces
caïds par de nombreuses attaques de nuit. Finalement la paix a été conclue entre
les deux parties dans les conditions suivantes :
Le caïd Ahmed Anflous ajoute à ses Neknafa les Ida
Ou Gord, abandonnant les Ida Ou Isarne à El-Guellouli. Le caïd Gourma blessé
grièvement, disparaît de la scène et ses deux fractions, les Ida Ou zemzem et
Aït Ouadil sont données à Iguidir, protégé d’Anflous. De plus, Ahmed Anflous
s’engage à ne percevoir que 50 pesetas dans les nzala ; il doit également
supprimer la nzala qu’il avait créée à la porte de Mogador sur la route de Safi.
C’est la Makhzen qui a ordonné lui-même à ses contingents de traiter de la paix
afin de pouvoir s’emparer d’Ahmed Anflous, par surprise et sans effusion de
sang.Et c’est ce qui allait arriver effectivement grâce à un tueur à gage : le
caid Guellouli chargea un de ses esclaves de liquider Ahmed Anflous en se
mettant à son service. Durant de nombreux mois l’esclave a fait montre d’une
telle abnégation et savoir faire qu’il finit par obtenir la confiance de son
nouveau maître. Celui-ci était constamment armé et sur ses gardes et ne vivait
parmi les siens qu’au cours de la journée, le soir venu il s’isolait dans un
pavillon à part. L’esclave noir avait l’habitude de le masser, pour l’aider à
s’endormir. Mais quand l’heure de passer à l’acte est arrivée, à peine le caid
s’est-il endormi que l’esclave le poignarda à mort. Il se faufila discrètement
dehors et s’enfuit au milieu de l’arganeraie, pour rejoindre ses maîtres et
leurs alliés qui ont commandité le meurtre. Après avoir couru toute la nuit,
l’aube le surprit à Imgrad. Pour éviter de mauvaises rencontres, à un moment où
la forêt commence à grouiller de bûcherons et de bergers, il se cacha dans un
cimetière.Le lendemain comme le caïd ne se présenta pas comme d’habitude à la
prière de l’aube, on accouru vers sa loge. Un filet de sang filtrait du bas de
sa porte. En ouvrant celle-ci on le découvrit déjà mort gisant au milieu d’une
marre de son propre sang. Ne voyant plus de traces de l’esclave, tout le monde
avait compris que la coalition qui s’est liguée contre Ahmed Anflous avait
finalement réussi son coup, malgré le retranchement de ce dernier à Timsouriîne
et malgré les milles précautions qu’il prenait pour se protéger contre
d’éventuel tueur à gage.
Au levé du jour, celui-ci ayant faim et soif, décida
de sortir du cimetière pour demander à boire et à manger à une paysanne qui
passait par là :
- Suis-je toujours au commandement d’Anflous ?
La paysanne le rassura en lui disant qu’il est
désormais hors de portée des Anflous. Mais la question souleva ses soupçons que
renforçait son regard hagard de bête traquée, avec son fusil au dos. Elle en
avertit aussitôt son mari, qui invita le fugitif à la maison. Tout en faisant
semblant de lui préparer à manger on envoya un éclaireur à Timsouriine pour
vérifier ce qui s’était vraiment passé là-bas. Une fois sur les lieux, celui-ci
découvre tout un hallali en entendant s’élever au loin les lamentations et les
pleurs.Connaissant la menace qui pesait de partout sur le caïd Ahmed Anflous, il
comprit ce qui s’est passé et revint alerter les siens aux pas de course. Les
soupçons confirmés, les habitants du hameau d’Imgrad se mirent à faire semblant
de poser des questions au meurtier sur le fonctionnement de son fusil. Une fois
désarmé, ils l’attachèrent à la queue du cheval par ses mains liées, et le
conduisirent à Timsouriîn, où le fils du disparu est déjà proclamé caïd à l’âge
de 23 ans. Contre l’avis même des Oulémas, il ordonna le châtiment du bûcher
pour le tueur à gage de son père :
- Il doit brûler exactement comme il a brûlé mon
cœur. Leur dit-il
On raconte que le bûcher avait éclairé plusieurs
nuits de suite, tellement le corps du noir était rempli de graisse ! Et c’est
finalement ce jeune caïd qui va devoir mener le parti de l’indépendance à la
confrontation avec la France. Mais sans avoir ni les moyens ni les hommes pour
se faire .Le clan des Neknafa étant déjà divisé, se fissurera davantage . Il n’y
aura pas de bloc Haha autour d’Anflous, comme il y eut un bloc rifain autour
d’Abd el krim.A la fin de l’année 1912, une petite colonne française, sous les
ordres du commandant Massoutier, avait été assaillie, à une journée de marche de
Mogador, par les contingents du caïd Anflous, l’obligeant à s’enfermer dans le
Dar el Cadi en attendant l’arrivée d’un secours. Quelques jours plus tard le
général Brulard, vint délivrer les assiégés. L’évènement avait fait grand bruit
dans toute la région.Voici la version qu’en donne le manuscrit de
Timsouriine
« C’est le caïd Mohamed Anflous qui fut le premier à
attiser les hostilités contre le colonialisme, en s’attaquant à une colonne
française l’obligeant à se réfugier à la maison d’El Haj Ali El Qadi qui se
trouve dans la tribu des Ida ou Isarn. Anflous et ses hommes encerclèrent les
militaires français durant quarante jours les obligeant à se désaltérer aux
urines de leurs propres chevaux.Les français ont voulu négocier mais Anflous
refusa. Il demanda à sa tribu de choisir entre la paix ou la guerre. Celle-ci
opta pour la guerre. Après mûre réflexion Anflous s’est dit :
- Si je choisi la paix avec les colonisateurs,
j’aurai trahi mon pays.
Et il finit lui aussi par choisir la guerre. Face au
colonialisme et pour l’indépendance du pays Anflous avait pris tous les risques
pour lui-même, sa famille et ses biens.
La terre brûlée
Il y eut un premier accrochage avec le général
Brulard qui venait d’Essaouira, au lieudit Boutazart dans la tribu des Ida Ou
Gord. C’est là que le caid Anflous et ses hommes ouvrirent le feu. La violence
de la confrontation obligea le général français à ordonner le repli momentané
sur Essaouira, en attendant l’assaut final.Pour diviser le clan Anflous, le
général français décide de recourir à la corruption en distribuant abondamment
d’argent aux différentes fractions. Ainsi nombreuses furent les fractions
Neknafa qui choisirent la désertion et l’argent à la confrontation et au
sacrifice. De sorte, qu’avant même que ne commence la guerre, le caïd Mohamed
Anflous s’est trouvé complètement isolé avec son dernier carré d’irréductibles,
quelques fidèles et proches de sa propre famille et amis. »Seulement 150 à 200
cavaliers étaient restés fidèles à Anflous, les autres ont été conrompu par
M’barek N’Id Addi et ont déserté avant même que n’éclate la bataille en 1912.
Raconte le dernier des Anflous qui vit toujours à Timsouriîne.Le général Brulard
quitte Mogador avec une colonne de 5000 hommes et prend pour objectif la
destruction de la kasbah d’Anflous, nid d’aigle qui était le centre de la
résistance et que les habitants considéraient comme imprenable. IL s’agissait de
prendre à rebours les farouches Neknafa à partir du territoire limitrophe des
Meskala qui étaient alors sous domination du caïd Khobbane, un adversaire
d’Anflous. Les troupes françaises, me racontait mon père, étaient guidées par le
future caïd M’barek, un cousin d’Anflous, qui s’était réfugié quelques années
auparavant chez les Mtougga..Les canons étaient péniblement traînés dans un
terrain chaotique via Bouriki jusqu’au sommet de la colline où se trouve zaouite
Ou Hassan qui fait face à la citadelle du caïd rebelle, et d’où on pouvait
facilement la viser : « Une fois l’argent distribué, le général français
s’avança avec ses troupes vers Neknafa au lieu dit Zaouite Ou Hassan. De là ils
commencèrent à bombarder Dar Anflous, durant 36 heures d’affilée : commencés le
jeudi les bombardements n’ont pris fin que le samedi. » précise le manuscrit
.L’armée française a dû traverser le défilée montagneux de Taqandout où elle
était prise sous les feux nourris et croisés des guerriers d’Anflous : La
situation était si périlleuse, me racontait mon père, qu’une fois parvenu la
haut, la main que tendait le général français pour descendre de son cheval,
tremblotait de peur.La kasbah fut enlevée le 23 janvier 1913. Mohamed Anflous
s’enfuit précipitamment pour aller se réfugier chez les Aït Aïssi, lassant à
l’ennemi de gros approvisionnements en vivres, en armes, en munitions Mauser et
Martini. Un vieillard qui avait participé au baroud d’honneur d’Anflous raconte
: Le samedi, dernier jour de la bataille, j’avais encore 12 000 balles stockées
au fond de la grotte d’Imin Taqandout. Je m’en suis servi moi et les derniers
soldats d’Anflous, de sorte qu’en arrivant à Tagoulla Ou Argan, je n’avais plus
une seule balle...Et voici maintenant l’épilogue de la bataille selon le
manuscrit de Timsouriîne : Voyant que la situation empirait, que ses troupes
diminuaient, le caïd Anflous qui avait obstrué le défilé de Taqandout, ordonna
le repli sur les hauteurs de Timsouriîne où se trouve sa maison.Il s’enfuit
alors vers la tribu des Aït Aïssi avec sa famille et ses derniers fidèles. Les
français avec les traîtres à la nation qui les accompagnaient remontèrent vers
la maison d’Anflous et la transformèrent en champ de ruines où on n’entend plus
que le sinistre ululement des hiboux et des corbeaux. Ils rasèrent les oliviers,
brûlèrent les magasins, et portèrent même atteinte au maqâm de Sidi Mohamed Ben
Sliman El Jazouli.Ceci était arrivé en l’an 1330 de l’hégire correspondant à
l’année 1913. »Le bien nommé général brulard pratiqua alors la terre brûlée ;
rasant et brûlant, des centaines d’oliviers qui entouraient la demeure
caïdale.Depuis lors la résidence de ce dernier n’est plus habitée que par les
pigeons, les chouettes et les chacals, attestant que le temps du caïdalisme
appartenait désormais aux oubliettes de l’histoire.Cependant qu’au sud de
Mogador, le caïd el Haj Lahcen, successeur de Guellouli avait levé une Harka et
s’était dirigé sur Agadir. IL s’empare d’une partie de la ville et, devant un
retour offensif des gens d’El Hiba, doit se replier à 12 kilomètres au Nord, sur
la côte. Mais le croiseur français Du Chayla, envoyé de Mogador, vient le
ravitailler en cartouches et accompagne sa marche le long de la côte : le 31 mai
1913 el Hadj Lahcen enlevait la citadelle d’Agadir. Ben Dahan, pacha de Tiznit,
et Haïda Ou Mouiz, pacha de Taroudant, continuaient à mener contre les derniers
dissidents d’El Hiba. Les différentes factions se neutralisant, les français se
contentaient d’aider les uns contre les autres.La soumission du caïd Anflous,
dés le début de l’année 1913, a porté un rude coup à ce qu’El Hiba pouvait
conserver de prestige et de force.A Essaouira, on confisqua les belles demeures
d’ Anflous : l’actuelle « Dar Souiri », transformée en « Cercle »
(administration des affaires indigènes), et leur belle demeure de derb Ahl
Agadir donnant sur les jardins de l’hôtel des îles, transformée en résidence du
contrôleur civil du protectorat. Les caïds de la région avaient tous une maison
à Essaouira : celles du caïd M’barek, du caïd Khoubban et du Caïd Tigzirine, se
trouvaient au clan Est des Chébanates, du côté de la terre. Alors que les
seigneurs de guerre et du désert, avaient leurs demeures et leurs entrepôts
commerciaux au clan Ouest des Béni Antar, du côté de la mer.Expression d’une
société segmentaire, cette opposition entre clan Est des Chebanates et clan
Ouest des Béni Antar, se manifestait symboliquement chaque année lors du rituel
de l’Achoura par une compétition chantée entre les deux clans de la ville.
Abdelkader MANA
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